La politique du Nouveau-Brunswick sur les avortements
Par Kathleen M. Pye et Joyce Arthur
Le gouvernement du Nouveau-Brunswick : la lutte contre le droit des femmes
Malgré la décision rendue par la Cour Suprême du Canada en 1988, le Nouveau-Brunswick (NB) refuse toujours de financer les avortements. Même que le Dr Morgentaler a gagné sa cause contre la province après qu'elle eut refusé de payer les avortements de Néo-Brunswickoises pratiqués à la clinique Morgentaler de Montréal. Malgré l'ordre de la Cour, la province n'a jamais payé.
Dans l’unique but d’appuyer le mouvement pro-vie, le ministre de la Santé a adopté une loi en 1989 interdisant les avortements ailleurs que dans les hôpitaux, et modifié la Loi sur le paiement des services médicaux afin de limiter le financement des avortements aux hôpitaux.
En 1993, la Cour suprême du Canada abolit une loi semblable en Nouvelle-Écosse, jugeant qu’elle n'était d'aucune utilité médicale. Le Dr Morgentaler en profite donc pour tenter de faire tomber la barrière juridique de la province par la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick. Morgentaler obtient gain de cause en 1994, et l'interdiction de pratiquer des avortements ailleurs que dans les hôpitaux, notamment dans les cliniques privées, est levée. Par ailleurs, cette affaire n’ordonne pas la province de financer les coûts reliés aux avortements. Par conséquent, la Loi sur le paiement des services médicaux du NB est modifiée avec la Section 2.01 :
« Nonobstant toute autre disposition de la présente loi, le régime de services médicaux ne prend pas en charge (...) la fourniture des services assurés dans un établissement hospitalier privé dans la province ».
Ceci s’est soldé par un manque de financement pour les avortements pratiqués ailleurs que dans les hôpitaux.
Le Dr Morgentaler constate qu’une clinique d’avortement accessible et humanitaire serait nécessaire au NB. Donc, malgré la révocation des mandats fédéraux sur la santé du gouvernement de cette province, il ouvre la clinique de Frédéricton en juin 1994. Les restrictions légales mises en place par le gouvernement néo-brunswickois obligent les patientes d’assumer les coûts de l’intervention, soit entre 700 $ et 850 $ (les prix d'aujourd'hui). Ces montants ne tiennent pas compte des frais de voyage ou d’hébergement des femmes venant de l’extérieur de la province, ou encore de l’Île-du-Prince-Édouard où il n'y a aucun service d'avortement. D’ailleurs, ces dernières représentent 10 % de la clientèle qui se fait avorter annuellement.
Dr Morgentaler contre le gouvernement du Nouveau-Brunswick
Dans l’espace d’une dizaine d’années, après l'ouverture de la clinique de Frédéricton, le Dr Morgentaler a insisté plusieurs fois auprès des gouvernements provincial et fédéral pour qu’ils respectent les exigences de la Loi canadienne sur la santé en permettant des avortements sécuritaires et financés par les fonds publics. L’intervention du gouvernement libéral fédéral, au début des années 2000, s’est annoncée prometteuse parce que le gouvernement du NB ignorait les requêtes pour faire abroger les lois restrictives provinciales. Il prétendait que cette affaire se solderait en fardeau financier inutile. Pour sa part, le gouvernement fédéral a ouvert la discussion, a menacé de retenir les paiements de transfert, et a même entamé le processus de prévention et de règlement des différends avec la province en 2005 dans l'espoir d'encourager le financement public des avortements pratiqués à la clinique de Frédéricton.
Avec la venue d’un gouvernement Conservateur sur la scène fédérale en 2006, l’indifférence totale du gouvernement provincial à l’égard de la liberté de choix en matière de procréation, conformément aux lois fédérales, ne tombe pas dans les priorités du ministre de la Santé.
En 2002, le Dr Morgentaler engage une poursuite contre le gouvernement du Nouveau-Brunswick contestant l’aspect restrictif et illégal de la Section 2.01 de la Loi sur le paiement des services médicaux et de l'Annexe 2 (a.1) du Règlement 84-20.La province a contesté la position du Dr Morgentaler s’appuyant sur le fait qu'il est un homme et qu'il n'a pas besoin d'un avortement, une stratégie visant à échapper au processus judiciaire et à éviter l'inéluctable décision qui pourrait favoriser le Dr Morgentaler. Ce n'est qu'en 2009 que la Cour d'appel du NB statue que le Dr Morgentaler, en tant que médecin, a le droit de comparaître devant la cour. Le Dr Morgentaler passe sept ans dans les rouages du système judiciaire du NB, et dépense environ un million de dollars en frais juridiques. En plus, sa santé est fragile et il doit assumer les frais de réparation, évalués à 100 000 $, reliés à une inondation survenue en 2008.
Malheureusement, le Dr Morgentaler s’éteint le 29 mai 2013 et sa succession n’a pu continuer de financer la poursuite. Celle-ci fut abandonnée par sa famille en avril 2014.
L'accès à l'avortement se détériore au NB et le financement public continu d’être refusé.
Lectures complémentaires (en anglais) :
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Janvier 1995 Lettre de la ministre de la Santé Diane Marleau aux ministres de la Santé provinciaux et territoriaux leur ordonnant de financer les cliniques privées qui pratiquent les services médicalement nécessaires.
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Octobre 1995 Lettre de la ministre de la Santé Diane Marleau rappelant aux provinces de financer les cliniques privées qui pratiquent les services médicalement nécessaires.
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Octobre 1995 Lettre du Dr Morgentaler au premier ministre du NB Frank McKenna.
L’avortement au Canada
Avant la décision baptisée « l’arrêt Morgentaler » de 1988 qui révolutionna la liberté reproductive au Canada, l'avortement était un crime, avec certaines exceptions; une situation retrouvée presque partout dans le monde.
Les premières lois canadiennes anti-avortement apparaissent dès 1892, lesquelles criminalisent l’intervention ainsi que différentes formes de contraceptifs. Il a fallu attendre 77 ans pour que le gouvernement fédéral, sous la conduite de Pierre Elliott Trudeau, décriminalise les contraceptifs et permette l'avortement lors de « circonstances atténuantes » et après avoir reçu l’approbation d’un « comité d'avortement thérapeutique » (CAT) composé de trois médecins.
Malgré cette victoire initiale importante pour le mouvement national pro-choix, il n'en rese pas moins que l'avortement demeure inaccessible et interdit par la loi pour une majorité de Canadiennes.
La légalisation de l'avortement au Canada
Le Dr Henry Morgentaler, médecin et défenseur des droits de l’homme, a passé une grande partie de sa carrière à militer pour la légalisation, l'accessibilité et le financement de l'avortement à l'échelle provinciale et fédérale. Malgré de nombreuses querelles juridiques et de vives réactions du mouvement pro-vie, le Dr Morgentaler est demeuré impliqué en tant que militant de la santé reproductive. Il a ouvert des cliniques à Montréal et à Toronto afin de fournir des services d’avortement en dépit des restrictions juridiques, et continué d’exercer une pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il modifie la loi qui met la vie des femmes en danger.
En 1988, la Cour suprême du Canada rejette la loi sur l’avortement avec l’arrêt Morgentaler, disant qu’elle contrevient à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés garantissant le droit «à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne». Sans contraintes juridiques, le Canada est devenu l’un des premiers et seuls pays où l'avortement est non seulement légal, mais jugé comparable à d'autres actes médicaux.
Lecture complémentaire : Full history of Dr Morgentaler’s struggle and ultimate victory. (En anglais seulement)
La Loi canadienne sur la santé et les services « médicalement nécessaires »
Selon la Loi canadienne sur la santé de 1984 — la loi fédérale qui établit les normes relatives aux soins de santé publics — chaque province est chargée de définir et de financer les actes « médicalement nécessaires » pour avoir droit au financement fédéral des soins de santé. La Loi définit de façon générale les actes médicalement nécessaires, mais inclut les services hospitaliers effectués par des professionnels de la santé qui sont tenus de maintenir la santé, prévenir les maladies, poser un diagnostic ou soigner une blessure. Un Hôpital représente tout endroit où des actes « médicalement nécessaires » ont lieu et qui exige du matériel médical, ce qui comprend les cliniques.
Il n'y a aucune mention du terme avortement dans la Loi canadienne sur la santé. Cependant, comme l'avortement s'inscrit dans la description de ce qui est « médicalement nécessaire » telle que définie par chaque province et territoire, le financement de l’intervention est donc assumé par le gouvernement provincial.
Toutes les cliniques privées au Canada sont financées en vertu de cette réglementation, sauf la clinique Morgentaler à Frédéricton, NB.