Histoire de la clinique Morgentaler de Frédéricton
Par Judy Burwell
« Toutes les mères doivent vouloir être mères, tous les enfants doivent être voulus. » - Dr Morgentaler
Pendant vingt ans, la clinique Morgentaler de Frédéricton fut une source de réconfort et de soulagement pour les femmes cherchant à interrompre leur grossesse. Par contre, elle a aussi été au centre de nombreuses controverses et de batailles juridiques, car le Dr Morgentaler s'est battu pour que l'avortement soit couvert par l'Assurance maladie.
Le gouvernement du Nouveau-Brunswick (NB) n’a jamais tenu compte de la décision historique rendue par la Cour Suprême en 1988 donnant le droit aux Canadiennes de recourir à un avortement sécuritaire, légal et remboursé par l'Assurance maladie. Au contraire, le NB s’est empressé de bloquer les plans de mise en place d'une clinique d'avortement privée en créant une réglementation restrictive dans la Loi sur le paiement des services médicaux. Cette dernière demande que deux médecins certifient que l’avortement est médicalement nécessaire et qu’il soit pratiqué dans un hôpital par un gynécologue ou un obstétricien.
La conséquence directe de cette réglementation est que, contrairement aux autres provinces canadiennes ayant des cliniques d'avortement privées, les avortements pratiqués à la clinique Morgentaler de Frédéricton ne sont pas couverts par l'Assurance maladie.
Le docteur Morgentaler n'était pas étranger aux menaces et aux lois superflues de même qu’il n'était pas du genre à éviter les controverses. Les actions du gouvernement n'ont servi qu'à renforcer sa détermination à faire en sorte que les femmes du NB puissent recevoir les soins dont elles avaient droit en vertu de la Loi canadienne sur la santé et de la décision de la Cour suprême rendue en1988.
Les débuts de la clinique
La première clinique Morgentaler était située dans une maison dans la partie nord de Frédéricton. Après avoir vendu la maison, le Dr Morgentaler a fait construire la clinique moderne du 554, Brunswick Street à Frédéricton. Les femmes qui se présentaient à leur rendez-vous devaient faire face à un petit groupe d’opposants, plutôt bruyants, qui manifestaient contre l’avortement, la plupart du temps, pour des motifs religieux. Ces derniers ont créé une atmosphère de blâme et de honte autour de la clinique. Il n'est donc pas surprenant qu'aucun médecin néo-brunswickois ne fût intéressé de travailler à la clinique. Toutefois, cela n'a pas dissuadé le docteur Morgentaler. Plutôt, il a fait venir des médecins de Montréal malgré les coûts supplémentaires. Ce n’est qu’une décennie après l'ouverture de la clinique qu’un médecin, prêt à ignorer les opposants, a déménagé au NB afin de travailler à la clinique sur une base régulière.
D'ailleurs, il est important de souligner que les médecins pratiquant des avortements dans les hôpitaux faisaient aussi l'objet de harcèlement de la part du personnel médical opposé à l'avortement ainsi que de la part des militants dans les rues. Que ces médecins aient continué à pratiquer des avortements, malgré toute cette résistance, est digne de mention.
En juin 2000, les opposants ont fait sentir davantage leur présence lorsqu’un groupe pro-vie a acheté la maison attenante à la clinique de la rue Brunswick. En grande pompe, ils ont annoncé l'ouverture de la Mother and Child Welcome House (maison d’accueil pour la mère et son enfant). Le but unique de ce groupe était d'empêcher les femmes de se faire avorter. D’ailleurs, leurs tactiques étaient connues de toutes les cliniques d'avortement. Les femmes qui se présentaient à la clinique ont dû faire face à un barrage de manifestants brandissant des pancartes dont le message était qu’un avortement tuait un bébé. Encore une fois, on baigne dans une atmosphère de blâme et de honte.
Pour régler ce problème, un professeur de l’Université du NB, qui avait vécu une expérience semblable dans une clinique américaine, a mis en place une équipe de bénévoles pour accompagner les femmes jusqu’à l’intérieur de la clinique. Malgré des -20⁰C ou des 30⁰C, on n’a jamais manqué de femmes et d’hommes désireux d’accueillir chaleureusement les femmes .Une fois à l'intérieur, les patientes étaient soulagées de rencontrer du personnel professionnel et aimable dans une atmosphère chaleureuse.
Ce fût un choc d'apprendre, en 2005, que l'hôpital de Moncton ne fournirait plus de services d'avortement. Le choc fut encore plus grand lorsque l'Hôpital Dr. Everett Chalmers à Frédéricton a emboîté le pas, laissant les femmes sans accès à l’avortement financé par les fonds publics dans tout le NB. Cela prendra quelques mois avant que le gouvernement annonce que l'Hôpital Bathurst et l'Hôpital George Dumont à Moncton reprendraient la pratique d’avortement. Cependant, les problèmes d'accessibilité et les obstacles n'ont pas disparu.
Les restrictions concernant l'accès à l'avortement dans un hôpital ont de réelles conséquences sur les femmes qui n’ont pas de médecin ou celles qui ont un médecin pro-vie qui refuse de donner les références requises. Même si les femmes surmontent ces obstacles, le temps d'attente risque de les amener passé la limite permise pour avorter dans un l'hôpital.
Un rendez-vous à l'hôpital nécessite deux visites, ce qui pose un problème aux femmes qui doivent organiser la garde des enfants, le transport et peut-être même un séjour de quelques jours si elles viennent de loin. Un rendez-vous à la clinique Morgentaler, lui, nécessitait seulement un coup de téléphone et une visite.
Le fonctionnement de la clinique
Les efforts des militants pro-vie pour continuer leurs activités à l’extérieur de la clinique s’avèrent vains. Même si les patientes doivent acquitter les frais de l’intervention, elles privilégient la clinique du Dr Morgentaler où elles peuvent obtenir un rendez-vous sans la référence d’un médecin, avoir un avortement jusqu’à 16 semaines de grossesse avec une attente pas plus longue que deux semaines, mais souvent à l’intérieur d’une semaine. Celles qui dépassent la limite autorisée par la clinique de 16 semaines de grossesse sont dirigées, avec l’aide du personnel, vers une clinique du Québec ou de l’Ontario où les avortements sont possibles jusqu’à 20 semaines de grossesse.
Entre 600 et 700 patientes visitent annuellement la clinique Morgentaler. Environ 10% de ces patientes proviennent de l'Île-du-Prince-Édouard où il n'est pas possible de se faire avorter.
La clinique dispose d’un personnel professionnel, compatissant et qui fait tout en son possible pour que les femmes soient bien avec leur décision. Une échographie confirme la période de gestation et qu’une chirurgie ne soit pas nécessaire, par exemple, dans le cas d’une grossesse ectopique.
Une conseillère est attitrée à répondre aux questions des patientes et à leur présenter les différentes options qui s’offrent à elles quand elles sont incertaines de vouloir interrompre leur grossesse. Les patientes quittent la clinique avec des instructions claires concernant leur avortement. De plus, elles ont la possibilité d’accéder à un service d’aide en ligne ouvert 24 h. Les patientes sont toujours traitées avec respect et dignité.
Le docteur Morgentaler est décédé en mai 2013. Toute sa vie, il a lutté pour que les femmes décident elles-mêmes de leur corps et du moment opportun pour devenir mères. Il croyait aussi que toutes les femmes, peu importe les circonstances, devaient être traitées dans la dignité et le respect. Comme le témoignent les patientes encore aujourd’hui, la tradition se perpétue. Sa devise Every mother a willing mother, every child a wanted child (Toutes les mères doivent vouloir être mères, tous les enfants doivent être voulus) est toujours d'actualité.