Facturation réciproque et assurance maladie
Comment la réglementation du Nouveau-Brunswick nuit à toutes les femmes canadiennes
Par Joyce Arthur
(Note de l’éditeur : cet article a été écrit en août 2014, et depuis le 1er janvier 2015, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a abrogé le règlement 84-20, ce qui devrait régler le problème de la facturation réciproque en 2015. À suivre).
Peu de gens réalisent que la Loi, inconstitutionnelle, sur le paiement des services médicaux du Nouveau-Brunswick (NB) prive les Canadiennes d’un financement sur les avortements. Si une femme, ou une personne transgenre, de n’importe quelle province – pas seulement du Nouveau-Brunswick – déménage dans une autre province, elle doit payer de sa poche son avortement jusqu’à ce qu’elles répondent aux exigences de résidence de cette province. C’est qu’en effet, l’avortement est exclu, à tort, de l’entente de facturation réciproque entre les provinces.
Toutes les provinces et tous les territoires veulent régler cette situation en supprimant l’avortement de la liste des services exclus – sauf le Nouveau-Brunswick. En effet, le NB refuse de donner son accord parce que cela l’obligerait de payer pour des avortements effectués à l’extérieur de la province sans que les femmes n’aient obtenu l’approbation de deux médecins.
L’annulation de la réglementation du Nouveau-Brunswick est cruciale, non seulement pour améliorer l’accès dans les hôpitaux, mais aussi pour assurer que toute personne qui déménage ou qui voyage dans une autre province soit automatiquement couverte si elle subit un avortement.
Qu’est-ce que la facturation réciproque?
Selon Santé Canada : « Les résidents qui quittent une province ou un territoire pour s’installer ailleurs au Canada continuent d’être couverts par leur province ou leur territoire d’origine durant une période d’attente imposée par la province ou le territoire d’accueil. Une fois cette période maximale de trois mois atteinte, la province ou le territoire d’accueil doit assumer la couverture des soins de santé. »
Par exemple, si vous avez un accident d’auto lors d’un voyage dans une autre province, vous n’avez pas à vous soucier de l’assurance maladie – vous êtes automatiquement couvert par l’entente de facturation réciproque du Canada entre les provinces (sauf le Québec qui ne fait pas partie de cette entente).
L’un des cinq principes qui figurent dans la Loi canadienne sur la santé est la transférabilité. L’objectif de cette disposition est de permettre à tous les résidents canadiens d’obtenir des services médicaux ou hospitaliers en dehors de leur province de résidence sans devoir payer des frais au point de service.
Le Comité fédéral de coordination des ententes interprovinciales en assurance maladie administre les ententes interprovinciales territoriales en assurance maladie. Toutes les provinces font partie de ces ententes, sauf le Québec, qui approuve les ententes sur les soins hospitaliers, mais pas celles sur les soins médicaux.
Dans la plupart des cas, un patient peut présenter sa carte d’assurance maladie en guise de paiement lorsqu’il reçoit des soins dans une autre province. Cette dernière facturera ensuite la province de résidence du patient.
La liste des « services exclus »
Malgré le fait que l’avortement est un service médical légal, et qu’il est un service assuré dans toutes les provinces canadiennes, il fait partie de la liste des services exclus (voir l’encadré ci-dessous pour la liste complète) prévue dans l’entente de facturation réciproque. Les résidents canadiens doivent acquitter eux-mêmes les frais pour les services inscrits sur cette liste durant une période d’attente minimum d’habituellement trois mois. Seulement quatorze services sont inscrits sur la liste, et ils le sont pour les raisons suivantes :
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Des traitements considérés non urgents, ou
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Des traitements assurés par une institution fédérale, notamment les Forces armées canadiennes, la GRC ou le Service correctionnel du Canada, ou
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Des traitements qui en sont encore à une étape expérimentale, ou
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Des traitements qui possèdent une solution de rechange plus conventionnelle (ou plus économique).
Pourquoi l’avortement ne devrait-il pas se trouver sur la liste
Étant donné que l’avortement se trouve sur la liste des services exclus, un immense fardeau repose sur les femmes, et les personnes transgenres, qui veulent se faire avorter, particulièrement les étudiantes qui ont quitté temporairement la maison familiale, ou les personnes qui ont déménagé dans une autre province et qui ne sont pas encore admissibles à l’assurance maladie dans leur province d’accueil.
L’avortement est une procédure qui doit respecter un délai prescrit. Donc, une femme ne peut pas toujours attendre que son assurance maladie entre en vigueur dans sa nouvelle province de résidence (habituellement trois mois), puisque cela pourrait la mener au-delà des limites de gestation permise dans plusieurs services d’avortement. Retourner dans sa province d’origine est peu probable puisque le coût du voyage est souvent supérieur à celui de l’avortement. Aussi, si la patiente est étudiante ou a récemment déménagé pour trouver un emploi, le coût d’un avortement peut devenir un énorme fardeau, parfois insurmontable.
L’avortement fait partie des services médicaux assurés par les provinces, pourtant, hors province, seulement les femmes dans la GRC, dans les Forces armées canadiennes ou celles incarcérées sont couvertes. Par contre, celles qui choisissent de poursuivre leur grossesse continueront de recevoir les services de santé, peu importe où elles se trouvent au Canada.
Enfin, les méthodes d’avortement utilisées aujourd’hui au Canada sont sécuritaires, fiables, et conventionnelles — certes pas expérimentales. Il n’existe pas d’intervention plus sécuritaire pour interrompre une grossesse, et l’avortement est aussi moins coûteux que les soins liés à la grossesse et à l’accouchement.
Les résidents canadiens bénéficient d’un programme de santé qui offre plusieurs services, mais n’inclut pas l’avortement, ce qui constitue une discrimination à l’égard des femmes. L’avortement demeure inscrit sur la liste des exclusions parce que certains politiciens et leur administration provinciale en soins de santé veulent y restreindre l’accès.
Sans consentement unanime du comité interprovincial, l’injustice continuera d’exister et les femmes enceintes vivant à l’extérieur de leur province principale et ne pouvant poursuivre leur grossesse seront privées de leur assurance maladie [1]. Il est temps que le comité fasse preuve de transparence et qu’il rende des comptes aux citoyennes canadiennes.
Qu’est-ce qui peut être fait?
Personne ne sait comment, ou pourquoi, l’avortement s’est retrouvé sur la liste des services exclus – même pas le Comité de coordination des ententes interprovinciales en assurance maladie [2]. En plus, le Comité déclare ne pas avoir l’autorité d’apporter des changements à la liste.
Il semblerait qu’il n’existe que trois façons d’enlever l’avortement sur la liste des services exclus :
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Un consensus entre toutes les provinces et tous les territoires
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Une intervention directe de la ministre fédérale de la santé
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Une poursuite judiciaire
Le Comité n’a pu parvenir à un consensus, car le NB refuse de donner son accord. Il ne se rallie probablement pas au consensus parce qu’un consentement de sa part rendrait sa propre réglementation nulle et non avenue. Effectivement, le NB serait forcé d’avouer que les avortements sont médicalement nécessaires, puisqu’il paierait pour les avortements des Néo-Brunswickoises qui vivent dans d’autres provinces. Rappelons qu’aucune autre juridiction au Canada n’exige l’approbation de deux médecins pour attester que l’avortement est médicalement nécessaire.
Les procès sont très coûteux et prennent beaucoup de temps, mais autre problème : qui poursuivre? Puisque personne ne semble responsable de la liste des services exclus.
Malheureusement, les Canadiennes semblent être aux prises avec l’avortement sur la liste des services exclus jusqu’à ce que le Nouveau-Brunswick annule sa réglementation, ou jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement fédéral veuille intervenir et l’enlever de la liste.
Encadré :
Liste des services exclus
Voici la liste complète des services médicaux fournis au Canada qui sont exclus de la facturation réciproque :
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La chirurgie pour modification d’apparence.
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Le changement de sexe.
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La chirurgie d’inversion d’une stérilisation.
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Les bilans de santé périodiques, comprenant les examens de la vue réguliers.
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Les avortements thérapeutiques.
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La fécondation in vitro et l’insémination artificielle.
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La « lithotripsie » extra-corporelle pour calculs biliaires.
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Le traitement des taches de vin ailleurs que sur le visage ou le cou.
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L’acupuncture, l’acupression, la neurostimulation transcutanée, la moxibustion, le feedback biologique et l’hypnothérapie.
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Les services aux personnes assurées par d’autres régimes : GRC (Gendarmerie Royale du Canada), Forces armées canadiennes, Commission des accidents du travail, Anciens Combattants et Service correctionnel du Canada (pénitenciers fédéraux).
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Les services demandés par un tiers, tels votre employeur ou votre compagnie d’assurance.
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Les conférences d’équipe.
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Le dépistage génétique et les autres examens génétiques, y compris les sondes ADN.
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Les services d’anesthésie et services d’aide chirurgicale associés à tout ce qui précède.
[1] Quelques provinces reconnaissent que cette iniquité peut provoquer de gros ennuis, donc quelques dispositions non officielles ont été établies entre des fournisseurs de régimes de santé provinciaux territoriaux. Ces ententes permettent aux femmes d’utiliser un service d’avortement autorisé en dehors de la province sans devoir payer de frais au point de service. De telles dispositions avantagent considérablement les femmes dans les régions du Canada où les services d’avortement sont inadéquats, mais il faut trouver une autre solution. Il n’y a pas d’universalité, car la disponibilité de la couverture dépend uniquement des politiques de la province de résidence de la femme. Par exemple, des ententes fournisseur-assureur permettent aux femmes de se rendre seulement dans un établissement autorisé situé habituellement dans la province la plus proche. En pratique, une patiente de la Saskatchewan peut aller dans une clinique de l’Alberta ou du Manitoba sans frais, mais celle de la Colombie-Britannique peut seulement se rendre en Alberta pour un avortement qui sera couvert par le régime. De plus, les ententes n’étant pas officielles – parfois elles ne sont que verbales – elles sont sujettes aux annulations sans raison et sans préavis.
[2] Cette information provient d’une conférence donnée par l’avocate Nitya Iyer sur la facturation réciproque à la National Abortion Federation à Vancouver en avril 2012.